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Fraternité des Veilleurs d'Ephèse
1 mars 2013

Extrait de Jean Phaure... Le cycle de l'humanité Adamique

Et pourtant, ami, aussi proche de vous que je sois, «quelque chose», vous le savez, nous sépare, qui est notre position réciproque à l'égard du bouleversement spirituel contemporain. Je m'explique. La maison que nous aimons, où nous prions, et que nos ancêtres ont bâtie, est en ce moment secouée par un violent tremblement de terre, plus violent que tous ceux qui l'ont déjà lézardée dans le passé. Cette maison s'écroule sous nos yeux. Je vous entends crier à travers cendres et flammes qu'il n'est pas d'autre demeure possible pour vous, que cette maison est la seule habitable, et que, bien que blessée, elle subsistera jusqu'à la fin des Temps. (Ce qui est vrai puisque cette échéance est proche.) Admirable héroïsme ! Mais vous allez jusqu'à proclamer aussi (et cependant que les poutres vous tombent sur la tête), que quiconque n'est pas dans cette maison ne sera pas sauvé, car vous avez dit aussi que nul n'était sauvé avant qu'elle fût construite, il y a deux mille ans... Quant à moi, très affligé, certes, de ce spectacle, je me trouve à l'air libre, en péril aussi car le sol tremble partout. Mais, contrairement à vous, avant le déclenchement du cataclysme, j'avais consulté les archives et savais que de nombreuses maisons de prière et de salut avaient été construites autrefois à ce même emplacement et qu'elles avaient elles aussi péri de façon à peu près semblable. Je vois, non loin de votre maison, d'autres constructions où l'on prie aussi et où l'on fait aussi son salut, ne vous en déplaise - et qui semblent d'ailleurs en ce moment aussi mal en point que la vôtre... Ceci pour le passé et le présent. Quant au futur, ne croyez-vous pas que lorsqu'il ne restera pierre sur pierre de votre chancelante demeure, les survivants, comme autrefois, reconstruiront sur ses fondations, plus belle que jamais, une nouvelle maison de prière et que la Croix à son sommet brillera de nouveau ?

Allons, brisons là cette métaphore. Parlons franchement puisque notre amitié nous le permet. Si je vous ai bien compris en vos propos, vos lettres et vos écrits, la seule forme authentique d'une religion véritable en toute l'existence du monde est l'Église catholique romaine, que vous appelez d'ailleurs «l'Église» tout court, proclamant que quiconque ne lui appartient pas est dans l'erreur et le péché. (Je reconnais d'ailleurs que contrairement à d'autres qui semblent avoir la nostalgie de l'Inquisition, vous y mettez beaucoup de charité, de soupirs, de prières et de tolérance de fait...) Soyez sans crainte, je ne vous infligerai pas ici un cours de théologie et de liturgie comparées ; nos bibliothèques sont assez fournies d’études magistrales sur ces sujets. Mais, c'est pourtant d'un manque effrayant de... curiosité que je vous accuserai. Comment une simple histoire de l'Église - ou des Églises si vous préférez - ne vous a-t-elle pas averti des trésors de foi, de science théologique et métaphysique qui ont existé par exemple dans les églises d'Orient, avant et après le schisme du XIème siècle ? Comment ne voyez-vous pas qu'aux côtés de votre église - qui est également celle où j'ai été baptisé et qui est chère à mon cœur - d'autres églises assument elles aussi à leur façon et avec des bonheurs divers, certes, cette même fonction d'Église du Christ ?... Il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père (Jean, XIV, 2). ...J'ai d'autres brebis encore qui ne sont pas de cet enclos; celles-là aussi je dois les mener ; elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau, un seul Pasteur (Jean, X, 16).

Oui, tous les hommes «de bon vouloir» sont déjà en esprit sous la houlette du Verbe divin, en une Église véritablement catholique, c'est-à-dire universelle... Pourquoi avez-vous toujours fait semblant de ne pas m'en- tendre lorsque je vous ai maintes fois rappelé ce terrible seuil du IVème siècle - qui a été le premier et le principal schisme - au cours duquel l'Église primitive porteuse encore de tous ses prestiges internes et externes s'est à la fois revêtue d'une administration officielle et séparée peu à peu de son caractère initiatique ? Certes, le symbolisme religieux devait subsister et vivre encore d'une vie intense pendant plus d'un millénaire grâce en particulier aux artisans initiés porteurs de la Tradition. Mais que, dès le cœur du Moyen Age, cet enseignement dût s'organiser clandestinement et pâtît de constantes persécutions inspirées par la hiérarchie séculière, en dit long sur l'in­compréhension, l'ignorance et la décadence spirituelle de celle-ci...

Je sais que le mot ésotérisme vous irrite : vous vous obstinez, ainsi que le mot hermétisme, à en faire le synonyme d'occultisme ! Vous employez d'ailleurs indistinctement ces mots les uns pour les autres. Pour vous, vous l'avez écrit, l'ésotérisme n'est qu’une doctrine orientale, un composé aberrant, un étrange magma hétéroclite... Ce faisant, vous utilisez très exactement le procédé polémique de l'amalgame... Vous m'avez à peine écouté lorsqu'un jour voulant vous éclairer, je vous ai longuement parlé, la Bible feuilletée devant nous, de platonisme, de gnose, d'astrologie, d'alchimie et d'illuminisme... Vous avez traité le tout de «fatras» ! - Comment appelle-t-on celui qui prétend tout connaître, se bouche les oreilles et refuse toute discussion ?... N'est-ce pas là ce «refus du dialogue» qu'à bon droit vous reprochez aux progressistes qui vous méprisent ou vous insultent ?

Vous savez - et c'est là un des points heureusement nombreux qui nous rapprochent - la profonde admiration que je nourris à l'égard des Pères de l'Église et la Joie que je prends depuis des années à lire ceux dont je possède les œuvres dans ma bibliothèque. Ils ont explicité, appliqué, élargi, magnifié l'Écriture ; mais s'ils l'ont fait c'est que plus de la moitié d'entre eux, à commencer par Saint Paul, étaient pétris de platonisme et de néo-platonisme, c'est-à-dire, ne vous en déplaise, de gnose non hérétique, c'est-à-dire, ne vous en déplaise, de cet ésotérisme chrétien que vous vous obstinez à vouloir rejeter sans le connaître, et qui est le fil d'Ariane par lequel la Tradition Primordiale est devenue le Christianisme, et sans lequel le catholicisme romain n'aurait pas existé.

«Le Christianisme primitif était une véritable initiation où l'on dévoilait une véritable magie divine...» (Joseph de Maistre.)

Mais le Christ, dites-vous, le Christ seul a fait l'Église ! Certes ! Le Christ seul, mais qui a dit : Je ne suis pas venu abolir la Loi mais l'accomplir... (Matthieu, V, 17). L'action de Celui qui a dit de Lui-même : Je suis l'Alpha et l'Omega, n'était pas révolution mais restauration de la Tradition du Premier Jardin. Que vous le vouliez ou non, c'est cette «Église intérieure» éternelle qui est dépositaire en l'invisible du Symbolisme, des Mystères, des Prophéties, et de toute la Métaphysique chrétienne, qui nourrit depuis deux mille ans les visions de nos mystiques et les dogmes de votre église lorsqu'ils sont authentiquement inspirés par l'Esprit Saint. C'est à cette «Église inté­rieure» dont le plus visible courant est le Johannisme. qu'appartenaient Dante, Paracelse, Pic de la Mirandole, Vinci, Durer, Boehme, Claude de Saint-Martin, Joseph de Maistre, et cette grande Simone Weil pour laquelle vous ne m'avez pas caché votre admiration, tout en continuant à déplorer qu'elle ne fût pas entrée dans l'Église de Rome - alors qu'elle s'est expliquée de cette «impossibilité» avec précision dans l'admirable Lettre à un religieux que vous n'avez jamais voulu lire !

Par ailleurs, que les religions en effet opposées dans leurs implications dogmatiques, liturgiques et sociales puissent cependant s'unir dans leurs sources métaphysiques, c'est-à-dire dans leur Symbolisme et dans leur Ésotérisme le plus éternel, voilà ce que vous ne voulez pas savoir. Ainsi, la notion même de ce que Schuon appelle «l'Unité transcendante des religions» vous échappe totalement. Vous ne voulez avoir aucune lumière sur la diversité des voies que, selon les races, les climats, les époques et en définitive les Cycles du Temps, peut prendre ce que le catholicisme appelle la Grâce, et qui est l'effusion de l'Esprit, et qui souffle où II veut, quand II veut.

Que, hors de l'Occident, on puisse être sauvé par Mahomet, Civa, Krishna, Bouddha ou Lao-Tseu, que hors de l'Ère des Poissons on ait pu être sauvé par Orphée, Apollon, Pythagore ou Zoroastre, vous le niez, vous le niez farouchement... Que de millions d'hommes qui ne connaissent ou ne connaissaient pas le Christ vous précipitez ainsi dans votre enfer ! Votre amour de Dieu (que je ne conteste certes pas !) aboutit en fait à un terrorisme clérical qui n'a cessé d'être meurtrier que parce que le pouvoir temporel a été depuis quelques siècles de plus en plus dissocié du pouvoir spirituel... Comme vous n'avez plus d'armes temporelles, vous avez cessé d'emprisonner, de juger, de condamner... Mais combien j'eusse préféré que cette tolérance de fait fût volontaire et devînt compréhension !

Vous connaissez mon opinion à ce sujet - qui est plus qu'une «opinion», qui est une adhésion totale de l'intelligence et du cœur ! - c'est que depuis deux mille ans Jésus, personnage historique, porteur en lui du Christ, éternel Verbe divin, est en effet la Voie principale, la Voie fondamentale, surtout pour la race blanche, et qu'il était hautement licite, comme il est prescrit dans les Évangiles, de la faire «connaître» sans violence et avec les seules armes de l'Amour, au monde entier... Certains l'ont rejeté qui l'ont connu. D'autres ne le connaissent toujours pas - ou si mal ! Mais comme disait Marivaux, on ne voit pas les cœurs ! Alors, je vous en prie, ne vous substituez pas à l’Ange du Jugement !

Oh ! Je connais votre ultime argument : j'ergote, je ratiocine, je biaise et surtout je désobéis à l'Église qui m’a baptisé : péché d'orgueil, me dites-vous... Peut-être... Or, Je lis ceci dans Sainte colère sous la plume de notre cher Michel de Saint-Pierre :

«Depuis que le Christ a prononcé son «Si tu veux», il n'y a plus d'obéissance aveugle. Le Christ n'a pas obéi aveuglément. Le Christ était un homme libre. A la lumière de l'Évangile, l'obéissance aveugle, l'obéissance de l'esclave est une contradiction. Le Christ savait pourquoi il obéissait...»

Et je sais, moi, pourquoi j'ai cessé d'obéir à l'Église de Pierre : pour rester fidèle au Christ. Et parce que Son Église de Pierre, comme cela avait été prophétisé, est aujourd'hui activement engagée dans l'Apostasie - non pas toute entière et dans tous ses fidèles et ses prêtres, Dieu merci ! - mais dans la majorité de sa hiérarchie Épiscopale notamment...

«Reniement de saint Pierre... C'est l'Église qui a renié trois fois : au temps de Constantin, à la fin du Moyen Age, et au siècle de la technique et de la richesse...» (Raymond Christoflour, La Drachme perdue.)

À ceci je sais que vous allez me répliquer encore que je tombe dans l'erreur de Luther et de Calvin qui prétendaient interpréter la Bible sans le secours de l'autorité romaine et selon leur propre entendement... Je sais, et je ressens parfaitement - acculé à cette obligation par la force des choses - l'inconfort de ma position; j'en connais, j'en ressens parfaitement le déchirement... Mais la recherche de la vérité ne saurait passer par le «confort» physique et psychique. J'aurais été heureux, croyez-le, de pouvoir demeurer en la demeure temporelle de mon baptême. J'y aurais cru et prospéré avec plénitude et joie... Mais je suis de ceux qui pour obéir ont besoin d'admirer... Et je ne puis plus admirer une administration temporelle des mystères divins qui s'est, par caducité, fonctionnarisme, ignorance et lâcheté, laissée aller en ce siècle de la Bête triomphante, à l'Apostasie !

Oui, ami, notre époque est déchirante, atroce... Il m'est arrivé, je l'avoue (je m'en repents) de penser à un «guet-apens» divin ! Alors que seul le Diable peut être accusé ! Le fait que des êtres d'aussi bonne foi que nous soient amenés à se déchirer en est la preuve. Aussi, à la fin de cette lettre, ne vous dirai-je pas : «J'ai raison et vous, avez tort.» Mais je dis : «Je vous comprends, ami, mais je ne puis vous suivre pour toutes les raisons que |e vous expose depuis des années. En retour, je vous demande à vous aussi de faire mieux que me «tolérer», mais de me comprendre aussi.»

Seul le passage, à notre mort, si nous en sommes dignes, dans le Royaume de la Véritable Lumière, nous donnera la totale Vérité, et il nous sera sans doute tenu compte à tous deux d'avoir tant cherché !

Ami, cessons de nous déchirer. Si nous ne pouvons parler sans querelle, observons quelque temps un silence entre nous, ne serait-ce que par un sacrifice de nos amours propres de «lettrés». Et que le Seigneur nous unisse dès ce monde ci par ce silence, et par cet Amour qu'à travers Lui nous ne cessons de nous porter !

Très chrétiennement vôtre.

Jean Phaure.

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